Un journal ne publie pas que des articles. Il est aussi là pour faire rêver, pour amener à explorer l’inconnu, mais avec un regard neuf, moins conforme qu’à l’habitude. En deux mots, il est aussi là pour raconter des histoires. Celle rédigée ci-dessous nous aide à être amenés à des questionnements sur notre façon de vivre, étant aveugles de ce qu’il se passe sous notre nez.
Marlène enleva son écharpe. Bien que l’on était en plein mois de novembre, la chaleur du métro l’accablait et la faisait suer à grosses gouttes. Elle y était coincée depuis une demi-heure, le temps de traverser la ligne quatre, de Montparnasse à Poissonniers. “Barbès-Rochechouart”. Comme tous les jours, Marlène se demanda quelle idée était passée par la tête des programmateurs de la RATP quand ils durent enregistrer le nom des stations. “Barbès-Rochechouart”. Ces ridicules tonalités montantes et descendantes étaient la risée de tous les touristes du monde étant un jour passés par Paris. Une fois de plus, elle manqua de glisser quand le train freina à l’approche de la station. “Plus que deux !” pensa-t-elle, mi heureuse, mi-exaspérée. Une poignée de passagers entra dans son wagon, desquels un jeune homme, au faîte de son adolescence, au corps svelte et à la mine lugubre.
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Martin ne présentait pas bien, il en était conscient. Vêtu d’un gilet de velours -qui dans des temps immémorables, avait du être noir, mais dont la vie à la dure et l’utilisation massive avaient eu raison, pour ne laisser qu’un grisâtre peu ragoutant- passé par-dessus une chemise de bonne facture, mais aux manches élimées, pendantes comme le lichen d’un arbre centenaire. Son monosourcil et son large nez laissaient deviner ses origines basques, tandis que sa démarche était celle d’un être épuisé, écrasé par le poids de la vie.
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Marlène fixa son regard sur ce garçon à l’aspect miteux. Elle remarqua les cheveux gras, mais bien coiffés, de quelqu’un qui fait attention à son apparence sans en avoir les moyens. Le port de tête était altier, noble, comme un geste de rébellion lancé à l’encontre de la société. Soudain, le garçon se leva, parcourut la foule de voyageurs d’un regard perçant, énigmatique. Marlène se ressaisit. Le simple fait de plonger dans les yeux du jeune homme l’avait troublée, car c’était un voyage dans un puits de mélancolie et d’épreuves précoces. La tristesse du regard était hypnotisante, et, un instant, l’air du wagon se figea, ainsi que tous ses bruits, et aucun passager ne put s’empêcher d’attendre les paroles du garçon. “Mesdames, Messieurs, je me présente : Martin, quinze ans. Mes parents sont décédés suite à un accident de voiture, il y a maintenant six mois. C’est pour cette raison que je suis aujourd’hui devant vous, car, ne pouvant me fier à la charité du gouvernement, je suis forcé de faire la manche afin d’obtenir les quelques piécettes me permettant de subvenir à mes besoins jusqu’à demain matin.” Sur ce, il tendit sa casquette aux passagers, casquette qui ne fut remplie de guère plus de vingt centimes. Il se rassit, et la vie reprit dans la voiture.
Marlène, installée aux côtés du jeune homme, ne put s’empêcher de lui demander où il dormirait le soir venu. “Madame, vous vous méprenez !”, lança-t-il sur un ton ironique, avant de poursuivre : “Je ne suis pas sans domicile, et, bien que mon état soit déplorable, je loge dans le Premier ! En effet, je partage un hôtel particulier fait de carton et bâti sous le Pont Neuf, avec trois immigrés arabes qui ne sont visiblement pas assez bien pour Mr Macron !” Il lança le mot “arabe” comme un défi, haut et fort, défi destiné à qui oserait prétendre que la situation n’était que justice. “En effet,” reprit-il, “je ne bénéficie pas de l’accueil de la France, mon pays natal, mon pays d’origine depuis maintes générations, mais de celui de migrants, Gazaouis, Syriens, Égyptiens, qui partagent sans compter ce qu’ils n’ont pas, qui sacrifient de la place qu’ils ne possèdent pas.” Il avait prononcé ce discours avec une voix puissante, afin que tout le monde puisse en bénéficier, les larmes aux yeux. Il descendit finalement du métro, en jetant ces phrases qui planèrent dans le wagon silencieux comme un apprentissage élémentaire, destiné à tous : “Quand j’étais l’archétype du bon petit citoyen, l’État me soutenait. C’est ce même état qui me tourna le dos une fois advenue ma chute dans la misère. Ce n’est pas l’État qui m’a sauvé, mais les rebus d’une société trop capitalisée, seuls, à avoir l’empathie d’accueillir un enfant apeuré, sans plus se soucier de leurs problèmes déjà trop nombreux !”
Auteur : Leonardo Portacolone

Et hélas, les protagonistes comme ca ne sont pas de purs produits d’imagination romanesques : ouvrez les yeux une fois, dans le métro ou dans les rues et regardez !! La majorité des gens ne sont pas aveugles mais ne veulent simplement pas voir le tristre spectacle qui a lieu sous leurs fenêtres, appliquant la théorie de l’autruche. Comme si tous ces destins brisés, laissés pour compte, allaient disparaitre si on les ignorait un peu plus.
Merci pour ce conte…